23/09/2018

Blind Tasting : Foire aux Vins en Supermarché


Oui, il faut le dire une bonne fois pour toutes : les foires aux vins de la Grande Distribution (que j'abrégerai d'ailleurs en "GD", plus loin) sont très rarement intéressantes. A moins de tomber sur un vin que vous connaissez d'autre part (ce qui ne devrait pas arriver, notamment si vous achetez vos vins chez les cavistes et autres magasins spécialisés habituellement), n'espérez pas faire de bonne découverte (à petit prix surtout) en vous rendant à votre supermarché fétiche. Mais attention, dans cet article je parle précisément de la période (devenue nationale par coutume) des foires aux vins, et du cas un peu plus global des grandes surfaces. Bien sûr, certains supers, et même hypers, développent leurs rayons vins (et alcools, plus généralement) afin d'élever un peu le niveau. Cependant, ne nous voilons pas la face : ce n'est que pour répondre à une certaine demande, et faire toujours plus de business, absolument pas par conviction.

Enfin, certains l'ignorent, mais il existe aussi des vignerons (les plus consciencieux, assurément) qui refusent de se retrouver représentés en supermarché. De ce fait, les acheteurs de la GD doivent soit ruser (en passant, généralement, par des intermédiaires, ce qui ne les avantage pas forcément niveau prix, du coup), soit se rabattre sur d'autres références accessibles. Le problème, c'est que n'est pas sommelier (ou caviste) qui veut. Et un responsable des liquides (terme propre à la GD), qui fait la majeure partie de son chiffre avec du Coca-Cola, n'est clairement pas le mieux désigné pour sélectionner des vins. Non pas qu'une minorité essaye vraiment de travailler "correctement", je ne les blâme pas ceux-là, seulement on parle littéralement d'un métier à part entière (sommelier/caviste). Les chefs de rayons sont inévitablement noyés en supermarché, dans un océan de boissons industrielles, et ce n'est (malheureusement?) pas prêt de changer.

Des enseignes plutôt évolutives, conscientes du problème, ont alors commencé à embaucher des personnes qualifiées dans ce domaine spécifique (j'y suis personnellement passé pendant un court laps de temps, voilà pourquoi je peux vous en parler). On pourrait donc croire que leur démarche est louable, et pourrait même donner sur de meilleurs résultats dans les bouteilles vendues en rayon. Mais non, car le spécialiste fraîchement embauché ne sera pas destiné à la sélection des produits (ou, s'il le fait, il n'en tirera aucun intérêt concret), mais cantonné au conseil auprès des clients. Pourquoi? Pour rassurer, bien sûr, crédibiliser le magasin.

Nous nous retrouvons donc dans un contexte hallucinant, où le paraître tente de nous faire avaler que les grandes surfaces sont pétries de bonnes intentions. Je vous l'affirme clairement chers amis : cela n'a jamais été le cas, et ce ne le sera jamais. Dès que vous entrez dans le système du capital, de la sur-consommation, que vous signez des accords avec des industriels, vous faites un pas impossible à annuler. Vous mettez le doigt dans l'engrenage du mal qui ronge notre monde actuel : la surproductivité au nom du profit. Et qu'on ne me parle pas des lois anti-gaspillages! J'ai vu des sacs entiers de nourriture (encore consommables, soyons clairs) partir à la poubelle, sans que personne ne s'en inquiète... Oui, c'est pourtant illégal, mais tout le monde s'en fout. Certes, il ne faut pas faire de ce cas une généralité, certains magasins jouent peut-être le jeu. Néanmoins, je sais ce que j'ai vu, et ça me dégoûte.

C'est avec ces informations bien en tête que vous devez lire la suite de cet article. Car j'ai tout de même décidé de jouer le jeu des foires aux vins cette année. Bien entendu, je ne l'ai pas fait simplement pour passer le temps, non, il y aura des conclusions claires à tirer de cette... Expérience. Je me suis donc rendu au Carrefour du coin, puis à l'Intermarché le plus proche de chez moi, afin de réaliser une sélection de 6 vins rouges, spécialement promus (ou en tout cas mis en avant) lors de cet événement commercial prétendument bachique.

Dans le cadre de cet exercice, j'ai décidé de déguster chaque vin à l'aveugle (en numérotant les bouteilles), en me concentrant uniquement sur mon ressenti et les propriétés gustatives de chaque cuvée. Même si je savais à peu près ce que j'avais acheté (uniquement des vins estampillés "récoltants", à moins de 5€, dont un labellisé "agriculture biologique"), les noms des appellations et des domaines ne pouvaient ainsi m'influencer dans mon jugement. C'est d'ailleurs de cette manière que l'on devrait goûter n'importe quel vin, si on veut être un minimum sincère avec soi-même. Grâce à ce procédé, on se rend notamment parfois compte qu'une grande étiquette (sous-entendu d'un domaine connu) n'est pas forcément supérieure à un vin d'apparence (et de prix) plus modeste.

Bref, voici mon compte-rendu de ce Blind Tasting spécial Foire aux Vins de Supermarché :


Vin n°1

- Visuel : robe rouge foncée aux reflets pourpres. Ses larmes sont lentes, nombreuses et fines. La brillance et la limpidité sont correctes. L'aspect visuel présume une expression assez jeune.

- Nez : 1er nez ouvert, sur la cerise cuite. 2nd nez plus alcooleux, aux arômes d'airelle sauvage, de crème de cassis et d'une pointe mentholée, a un profil aromatique orienté sur le Cabernet-Franc.

- Bouche : l'attaque est souple, tandis que le milieu est ferme. Ce vin bénéficie d'une jolie rondeur, et d'une bonne présence des arômes sentis au nez. La finale est toutefois peu fine, presque perlante, elle se poursuit sur des tanins assez secs, qui durcissent la longueur, dont la tenue est d'ailleurs plutôt honorable.

Commentaire global : cette cuvée dispose d'une attaque relativement soyeuse. Son équilibre est cependant mis en péril par l'alcool dominant et les tanins, qui manquent clairement de finesse (et de maturité, probablement). On pourrait présumer une amélioration de ce vin après quelques années supplémentaires de garde (pour patiner les tanins, notamment), mais il y a peu de chance que l'alcool déjà trop présent s'efface, bien au contraire. L'avenir de ce vin est donc plutôt incertain, tandis que son présent est loin d'être satisfaisant.

Révélation de la référence : Anjou 2016, du Baron de la Varière (probable sous-marque pour la présentation en GD), Médaillé d'Argent au Challenge International du Vin 2017.
Acheté à 4,85€, dans un Carrefour.

Et pour les curieux, voici le lien du site du Challenge International du Vin : CIDV.



Vin n°2

- Visuel : robe pourpre profonde, aux reflets lumineux et violacés. Ses larmes sont grosses et rapides. Ceci promet une jeunesse certaine et une bonne fluidité.

- Nez : 1er nez ouvert de mûre fraîche. 2nd nez fruité de cassis et de framboise, légère présence de violette, ainsi que de musc.

- Bouche : l'attaque est droite et révèle rapidement les arômes ressentis également au nez. Le milieu de bouche est très coulant, délivrant rapidement la finale tannique et amère. Cette dernière note est d'ailleurs un peu dure, bien que de bonne longueur.

Commentaire global : la fin de bouche corsée offre un potentiel futur à ce vin, qui sera à rouvrir d'ici 3-4 ans, dans l'espoir de voir ses tanins francs assagis. Aujourd'hui, cette cuvée est clairement trop rustique, malgré un fruit agréable.

Révélation de la référence : Lubéron 2016, de L'Aiguebrun, Vignerons Amédée (groupement).
Acheté à 3,49€ dans un Intermarché.




Vin n°3

- Visuel : robe rougeoyante sombre aux reflets grenats. Ses larmes sont fines, lentes et nombreuses. Cet aspect évoque une belle matière potentielle et une probable maturité.

- Nez : 1er nez ouvert et animal. 2nd nez étrange de peinture fraîche, kirsché, et sublimé par une note de myrtille.

- Bouche : attaque rafraîchissante, assez subtile, suivie d'une matière doucereuse. Le milieu de bouche est quant à lui plutôt rapide, effaçant presque les arômes du vin, au profit d'une finale plutôt astringente et mal venue.

Commentaire global : apparaît d'abord comme une cuvée à maturité, mais laisse la bouche asséchée. Le nez parasité par son arôme de peinture n'aide pas à son appréciation, bien que la bouche possède une attaque fine, relativement agréable. Dommage que cette finesse ne tienne pas la longueur.

Révélation de la référence : Bordeaux 2015, du Château Beauregard-Ducourt, Médaillé d'Or au Concours de Bordeaux 2017.
Acheté à 3,99€ dans un Intermarché.

Voici le lien du site du Concours de Bordeaux : CDB.




Vin n°4

- Visuel : robe noire aux reflets sanguins. Ses larmes nombreuses, fines et rapides présument un vin juteux et mûr.

- Nez : 1er nez ouvert de cassis frais. 2nd nez d'hibiscus, de fraise garriguette, de violette, de groseille et de muscade.

- Bouche : bonne fraîcheur, trame effectivement juteuse, charnue, présence concentrée des arômes du nez, auxquels s'ajoute une note boisée. L'amertume se ressent enfin sur la mâchoire inférieure, soutenue par une persistance aromatique entêtée.

Commentaire global : vin d'une certaine plénitude, sa vigueur actuelle lui permet même d'avoir une visibilité sur quelques années encore. Bien que sa présence soit plutôt agréable, il faut envisager un passage en carafe pour ce vin, du moins si vous comptez l'ouvrir prochainement.

Révélation de la référence : Bordeaux Supérieur 2008, du Château du Berneuilh.
Acheté à 4,70€ dans un Carrefour.



Vin n°5

- Visuel : robe sombre aux reflets mauves. Ses larmes sont volumineuses et rapides. Cette apparence exprime une potentielle fluidité et un millésimé récent.

- Nez : 1er nez ouvert de fraise confite. 2nd nez de cerise noire, puis des notes plus herbacées comme la garrigue ou encore le tabac séché.

- Bouche : identité rustique, bonne puissance, côté très solaire en avant. Milieu de bouche révélant un jus gouleyant, à l'arôme épicé de poivre noir (signature de la Syrah). La finale est à l'image de la rusticité globale de cette cuvée ; tannique et un poil abrupte.

Commentaire global : l'expression de ce vin est marquée par un grand caractère, paradoxalement éphémère en bouche. Là encore, nous sommes face à un manque cruel de finesse, dommage.

Révélation de la référence : Côtes-du-Rhône 2017, labellisé Bio, du Domaine de Servans.
Acheté à 4,75€ dans un Carrefour.



Vin n°6

- Visuel : robe violacée aux reflets framboises. Ses larmes sont nombreuses, fines et plutôt lentes. Il s'agit probablement d'un vin jeune, présentant une certaine richesse.

- Nez : 1er nez ouvert sur la griotte à l'eau-de-vie. 2nd nez porté sur les senteurs empyreumatiques, comme la fève de cacao et la cendre. Le fruit n'est toutefois pas totalement absent, avec une pointe de crème de cassis également.

- Bouche :attaque fraîche et maîtrisée. Le milieu de bouche expose une fine texture, et une palette aromatique similaire à celle du nez. L'équilibre est assez cohérent entre la fraîcheur et la matière. Enfin, la finale est axée sur une amertume marquée, qui gâche un peu l'ensemble.

Commentaire global : ce vin subi quelque peu la vigueur de sa jeunesse. Il a néanmoins une base aromatique intéressante, certainement lié à son encépagement ou à son élevage, et un fil frais capable de tenir la longueur.

Révélation de la référence : Gaillac 2016, du Château Goudoffre.
Acheté à 3,39€ dans un Intermarché.



Alors, quelle conclusion pouvons-nous tirer de cette expérience? Que l'équation Foire aux Vins + Grande Distribution = catastrophe? Quelque chose dans ce goût là, oui. Quand on sait que 50% des vins tranquilles produits (soit 75% des vins Français) sont vendus en GD... Il y a de quoi se poser des questions. Et ne pensez pas que ce n'est qu'un problème lié au vin, non. C'est un soucis qui se transpose sur toute l'agriculture du pays. Il est grand temps de se réveiller et de tout faire pour empêcher cette société de s'auto-détruire.

Voilà! C'était mon coup de gueule de "la rentrée", j'espère qu'il permettra de générer quelques questionnements à l'avenir. Comme nous avons pu le voir, le vin permet aussi d'aborder des sujets plus larges, comme l'histoire ou l'économie. Décidément, c'est vraiment le thème parfait, on dirait. Aller! Allons boire un petit coup pour nous réconforter! Et aussi afin d'oublier le goût de tous ces vins pas terribles, testés pour les besoins de cet article...

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