11/03/2018

La bière : introduction


La bière (aussi appelée "pain liquide" par certains) est un produit généralement très accessible (plus que le vin, globalement), voir même facile à faire (si on fait sous-traiter toute l'étape préliminaire du maltage). Ces dernières années, un engouement particulier s'est développé pour elle. Le nombre de brasseurs professionnels croît énormément, chaque département comporte ainsi ses propres micro-brasseries locales.Pour l'instant, la classification des bières par l'INAO (dont l'influence est, aujourd'hui, européenne) n'a pas lieu, puisque la notion de terroir y est très peu présente en réalité (les céréales peuvent provenir de n'importe où, idem concernant toute la liste d'ingrédients que l'on retrouve dans la bière). Pour ce produit, nos parlerons donc davantage de savoir-faire et de styles. A savoir que la bière possède, tout comme le vin, ses spécialistes plus ou moins scientifiques : les bièrologues. Ce terme est très courant en Belgique, mais les Français ne le connaissent encore que trop peu.

La dégustation de la bière se fait de façon très similaire à celle du vin. La principale différence réside dans l'analyse du nez, soit la perception des arômes, ceux-ci sont évidemment bien différents de ceux que l'on peut croiser en goûtant des vins. Connaître le procédé de fabrication de la bière nous permettra de comprendre ce breuvage si tendance, déceler son authenticité, sa différence. Intéressons-nous donc au produit de base : les céréales. La plus courante, dans le monde de la bière (et du whisky, au passage), est sans aucun doute l'orge.

De la famille du blé et de l'avoine, l'orge est la plus prédisposée au maltage, et considérée comme la première céréale domestiquée. De plus, cette variété est produite en France (ce qui permet à nos brasseurs de se fournir localement, si besoin), notamment dans les régions du Centre, du Pays de Loire, en Champagne ou encore en Bourgogne. Les autres céréales (maltées ou non, d'ailleurs) que l'on peut utiliser dans une recette de bière sont : le blé, le riz, le maïs, le mil, le froment, le seigle, l'avoine, l'épeautre ou encore le sarrasin, etc... Certains vont jusqu'à assembler les différents grains, afin d'obtenir des notes différentes, soit, par conséquent, résulter sur une complexité et une originalité aromatique fort probable.

Seulement voilà, les céréales à elles seules ne peuvent suffire à l'élaboration d'une bière. Le second élément, présent en grande majorité dans la composition finale (environ 90%, c'est dire), n'est autre que l'eau (plate, les bulles se font autrement, juste au cas où). Aujourd'hui, la majorité des bières se font à l'aide d'une eau à très faible teneur en sels minéraux (voir sans sels minéraux, c'est ce qu'on appelle les "Pils", dont le nom vient d'une ville Tchèque ; Pilsen). Une eau possédant un certain goût ou une teneur particulière amènera avec elle du caractère à la bière, c'est pourquoi il faut bien la connaître avant de l'utiliser, dans ce cadre là.

Nous avons maintenant les céréales et l'eau, sauf que ces deux là ne suffisent toujours pas pour faire une bière, ne serait-ce que buvable. Il convient de se tourner vers les levures désormais. Champignons microscopiques fragiles (étudiés en profondeur par ce bon vieux Pasteur), les levures se nourrissent des sucres (essentiellement apportés, ceux-ci, par les céréales, grâce à l'amidon révélé par le maltage, mais aussi littéralement ajoutés, pour la prise de mousse surtout, sous forme de cassonade par exemple), les transformant en alcool et en gaz carbonique. En bièrologie, on en retrouve deux catégories : celles à fermentation haute (qui travaillent entre 15 et 20°C), ou celles à fermentation basse (qui s'activent entre 8 et 10°C). Les levures vont nous donner les moyens d'obtenir l'alcool dont on a besoin (un fil structurel important de la bière), puis la mousse (sans qui le pain liquide serait bien fade et peu apprécié par bon nombre d'actuels amateurs).

Enfin, nous commençons à entrevoir la composition complète d'une bière. A vrai dire, les trois éléments listés jusque là pourraient suffire à étiqueter le produit issu de cette recette : bière. Néanmoins, il manquerait bien des saveurs à ce breuvage. De plus, dans ce cas de figure, les brasseurs ne pourraient pas vraiment se targuer d'être de vrais cuisiniers comme ils aiment le faire, des chercheurs de goûts uniques et reconnaissables. En fait, à tout ça, ils ajoutent (à divers moments du processus) des épices, parfois des fruits, et surtout du houblon. Ce dernier est issu d'une plante vivace haute (cultivée en Alsace, notamment, pour ce qui est de la production Française), riche en résines et en huiles.

Le houblon apporte de l'amertume et de l'aromatique. Les innombrables variétés existantes ont, chacune, une présence nuancée, apportant de la complexité aux recettes finalement réalisées. La tendance est au houblonnage, alors familiarisez-vous vite avec les abréviations IPA, APA, etc... Elles concernent des bières particulièrement houblonnées, leur nom est d'ailleurs un hommage aux anciennes méthodes de conservation Anglaises.

Les ingrédients sont tous là cette fois, il ne nous manque plus que le savoir-faire. Bien des personnes s'essaient au brassage aujourd'hui, mais seulement une poignée valent réellement le détour (vis-à-vis de tout ce qui existe déjà). Face à l'industrialisation de la production Belge, victime du système capitaliste (les petites entreprises se font absorber par les plus grosses), il faut protéger et promouvoir les méthodes artisanales, comme on sait le faire au niveau vinicole. Voici donc, ci-dessous, la trame du procédé technique de la fabrication de la bière (issue du plutôt bon site univers-biere.net) :

Le Maltage


1. Préparation des grains

On fait mûrir les grains dans des silos, où ils doivent être oxygénés au maximum. Les grains, en respirant, libèrent de l'eau et de la chaleur. Ces produits de combustion doivent être évacués, car ils pourraient entraver le vieillissement des grains. Ces derniers passent ensuite par divers tamis, où les impuretés sont évacuées.


2. Trempage

Cette étape consiste en une suite de trempages, d'environ douze heures chacun, entrecoupés de périodes d'aération. Le but, ici, est de fournir à la céréale toute l'eau et l'oxygène nécessaire à la germination. Cette étape dure de 40 à 60 heures, à une température variant de 12 à 14°C.


3. Germination

Les grains humides sont stockés environ dix jours, dans une immense pièce (le germoir), où ils sont constamment en mouvement, afin d'empêcher le pourrissement. La pièce doit avoir un taux d'humidité élevé, ainsi qu'une température entre 12 et 15°C. La germination fait sortir les radicelles des grains (soit les germes). Cette étape dure entre 4 et 8 jours. Le grain germé est alors nommé malt vert, il renferme jusqu'à 45 % d'humidité.


3. Touraillage

Les grains sont transférés dans la touraille, un immense four prévu pour cet usage. Cette étape permet de colorer et cuire les céréales. Le malt vert restera environ 30 heures dans la touraille, à une température de 45 °C. Ensuite, on chauffe intensément les grains pendant environ 5 heures, à diverses températures, selon les types de malts que l'on veut obtenir :

- Une bière blonde nécessite des grains légèrement torréfiés, on les chauffe à 85°C pour simplement les sécher.

- Une bière ambrée a besoin de grains caramélisés, on les chauffe à 110°C pour colorer les sucres.

- Une bière brune a besoin de grains torréfiés, noircis, on les grille à 220°C.

Après touraillage, les céréales ne contiennent plus que 1 à 3 % d'eau.


4. Dégermage

On élimine les grains non germés, puis on laisse vieillir le reste deux ou trois semaines avant de commencer à brasser. Pour 100 kg d'orge initial, on obtient environ 75 kg de malt. Cette différence est principalement due aux pertes d'eau et de matière.

Le Brassage


1. Concassage

Avant le brassage, le malt est broyé dans un concasseur à cylindres striés. Pendant ce concassage, le contenu du grain est écrasé et expulsé de son enveloppe. Ceci a pour but de le réduire et permettre une meilleure extraction des enzymes et des sucres. La difficulté de cette étape est de trouver un bon compromis de réglage dans la finesse de la mouture. Il ne faut pas qu'elle soit trop épaisse, car l'extraction du sucre serait alors mauvaise. Mais il ne faut pas qu'elle soit trop fine non plus, les farines qui en résulteraient risqueraient en effet de poser problème lors de la filtration.


2. Empâtage

L'empâtage est la première véritable étape du brassage, qui consiste à tremper et remuer (brasser) le malt concassé dans de l'eau chaude, afin de procéder à l'extraction de l'amidon contenu dans le malt. Le mélange malt concassé et eau s'appelle la maische. L'opération se nomme « empâtage », en raison de l'aspect pâteux du mélange eau-malt. On ajoute aussi souvent des grains crus ou des flocons (orge, blé, maïs), pour stabiliser le moût et apporter des saveurs supplémentaires. L'empâtage s'effectue dans la cuve matière, où la maische est alors chauffée à différents paliers de température :

- Un premier palier d'environ 15 minutes vers 50°C, afin que les protéines complexes non solubles du malt se transforment en acides aminés.

- Un second palier s'effectue aux alentours de 62°C, il permet la gélatinisation de l'amidon et sa transformation en sucres fermentescibles (dextrose et maltose), utiles pour la fermentation, par l'action enzymatique de la beta amylase. Cette étape dure entre 30 et 45 minutes.

- Ensuite, la chaleur monte entre 68°C et 75°C. A ces températures, l'alpha amylase intervient et permet, cette fois, la formation de sucres non fermentescibles (dextrines), qui donneront du corps et de la rondeur à la bière. Cette étape dure entre 30 et 60 minutes.

- Enfin, intervient le palier d'inhibition des enzymes, qui consiste à élever la température à 78°C, en fin d'empâtage, pendant 10 minutes. Cette température permet de détruire les enzymes, et donc de conserver ainsi l'équilibre du brassin (plus de transformation enzymatique ultérieure), mais aussi de solubiliser les sucres. Ceci améliorera le rendement du brassage, en facilitant le rinçage des drêches.


3. Filtration

A la fin de l'empâtage, le brasseur filtre la partie liquide, appelée moût, en la passant à travers les matières solides. C'est-à-dire les résidus de malt épuisé (enveloppe des grains, particules insolubles), qui se nomment les drêches. Cette opération a souvent lieu dans la cuve matière, munie d'un fond filtrant. Les drêches, tassées sur le fond perforé, forment en plus un filtre naturel qui ne laisse passer que le moût limpide. Ces drêches sont ensuite rincées avec de l'eau chaude (à 76°C), extrayant alors un maximum de sucres potentiellement encore présents. Puis les drêches sont séchées avant d'être utilisées comme nourriture pour le bétail, par exemple. Elles contiennent des protéines, des fibres, du sucre et un peu d'amidon. Après la filtration, le moût est pompé en direction de la chaudière à moût pour la cuisson.


4. Cuisson du moût

Le moût est porté à ébullition dans une chaudière à moût, entre 1 et 2 heures selon les profils de bières. La cuisson permet de stabiliser et de stériliser le moût, c'est aussi souvent à cette étape que le houblon est ajouté au moût. Son rôle est important, il fournit, par l'intermédiaire de ses résines, deux acides qui conservent et donnent l'amertume à la bière. On l'incorpore généralement une première fois en début de cuisson, on en ajoute soit de temps en temps ou, également, à la fin, pour garder un peu de ses huiles essentielles. Les résines amères du houblon sont difficiles à extraire, c'est pourquoi une longue cuisson est nécessaire pour les solubiliser. Cette cuisson permet aussi de coaguler les protéines du malt, et donc de favoriser la limpidité, tout en stérilisant le moût.

On peut aussi ajouter d'autres produits aromatiques (épices, ingrédients divers), en fonction du type de bière. Chaque brasseur a sa recette secrète, ce qui fait l'unicité de sa bière. Les épices les plus populaires sont la coriandre, le gingembre, l'anis, la réglisse et la cannelle. Dans certains cas, on trouve aussi des ingrédients plus atypiques, comme la châtaigne, la noix, le cacao, le chanvre, des fleurs, des herbes, etc...


5. Refroidissement

Après ébullition, le moût encore trouble contient des résidus qui décantent au fond de la cuve. Ce même moût va donc être pompé par le haut de la cuve. Il passe ensuite dans un circuit de refroidissement, composé d'un échangeur thermique à plaques, ce qui permettra la température idéale pour la fermentation. Le moût refroidi est maintenant sensible à toute contamination bactérienne, c'est pourquoi l'hygiène est de rigueur.


6. Fermentation

Le moût est transféré en cuve de fermentation, puis il est ensemencé avec une levure à bière. Il existe deux méthodes de fermentation :

- La fermentation haute, qui se déroule aux environs de 22°C. C'est la méthode de fermentation la plus ancienne et la plus courante. Les bières de fermentation haute sont appelées "ales".

- La fermentation basse, qui se déroule à une température d'environ 12°C. C'est un procédé plus récent, il a été inventé en 1842, à l'origine pour le type pils (bière blonde). Les bières de fermentation basse sont appelées "lager".

Quelques heures après l'ensemencement, la levure s'est déjà bien multipliée. Il se forme alors une mousse, chargée de levures et de résines de houblon, en surface (appelée le kräusen). La présence de cette mousse est une preuve du lancement de la fermentation. Pendant ce temps, la levure continue son activité et commence à transformer les sucres fermentescibles en alcool, et en gaz carbonique. Un dégagement gazeux intense va se produire. La fermentation primaire va durer entre 4 et 8 jours, puis la bière (dite "bière verte", à ce stade) sera transférée en cuve de garde, dans l'optique subir une autre fermentation, pendant quelques semaines à température plus faible. Ceci permettra à la bière de s'affiner, laisse le temps aux levures de finir leur travail, et aux particules solides de décanter en fond de cuve, ce qui clarifiera naturellement la bière.

Après la période de garde, la bière est brillante et limpide. Dans beaucoup de cas, elle est en également centrifugée afin d'extraire les derniers résidus solides et les levures. Enfin, la bière est envoyée vers la chaîne de soutirage.

7. Embouteillage

Après la fermentation, la bière est désormais bonne à être soutirée, c'est-à-dire être mise en bouteille, en canette ou en fût. Le conditionnement en bouteille est le plus courant. L'embouteillage est souvent réalisé sur une chaîne automatisée. On nettoie les bouteilles vides, en les faisant tremper dans plusieurs bassins et en injectant, sous pression, une quantité d'eau mélangée à des produits stérilisants. Une fois propres, elles sont remplies de bière et capsulées immédiatement.

- Pour les bières refermentées en bouteilles (prise de mousse par méthode traditionnelle), on ajoute une petite quantité de sucres et de levures. Les bouteilles sont capsulées et mises en chambre tempérée, afin de favoriser cette prise de mousse.

- Pour les bières classiques, du CO2 est injecté dans la bouteille lors du conditionnement, en plus de la bière plate. La bouteille est de suite capsulée.

Les bouteilles vont être habillées d'étiquettes, de contre-étiquettes et de collerettes. Les différents conditionnements vont être finalement emballés pour la distribution. Les brasseries préparent aussi souvent la bière en canettes et en fûts, répondant ainsi aux demandes des divers débits de boissons.

Dans les pays où le système de consigne est de rigueur, les brasseries peuvent réutiliser environ quinze à vingt fois les bouteilles de bière. Ensuite, ils les font refondre pour en refaire des nouvelles, recyclées. Les bouteilles de bière sont souvent brunes ou fumées, car cette couleur absorbe la plupart des longueurs d'onde de la lumière, qui pourraient oxyder la bière et dégrader le houblon. Problème qu'il n'est pas rare de rencontrer, quand les conditions de stockage en magasin ne sont pas bonnes (stocks au soleil, sous les néons des rayonnages, etc...).

C'est ainsi que notre longue introduction au pain liquide touche à sa fin. Que vous soyez amateurs ou non de ce produit fort intéressant, il est important de le connaître. Et ceci parce que sa place se fait franchement croissante, de jour en jour, au sein du patrimoine gastronomique de l'humanité. Auparavant, la bière était déjà (ancestralement) partout, elle s'était même un peu perdue au milieu des produits perçus comme "bas de gamme" de notre société. Aujourd'hui, les consommateurs la remarque étrangement, et deviennent de plus en plus attentifs à ce qu'ils achètent (de façon plus générale, pour le coup). Leur exigence grandit, en même temps que la bière se perfectionne. Une avancée simultanée, qui a visiblement trouvé son tempo dans le paysage de la gastronomie. Alors, décapsulez les bières avec autant de soin que vous ouvrez vos vins, car bon nombre de belles surprises vous attendent au fond de ces bouteilles.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire